Par Serge Siritzky
La dernière réforme du crédit d’impôt est une étape déterminante dans la capacité de la France à maintenir et développer son outil industriel cinématographique et audiovisuel. Mais si elle n’est pas complétée par une réforme substantielle des règles de l’agrément, elle risque d’être une ligne Maginot pour cette industrie. Alain Sussfeld, le directeur général d’UGC, a été chargé par la présidente du CNC, Frédérique Bredin, d’un rapport sur ce point. Sans préjuger de ses conclusions, il est clair que, pour l’instant, les points de l’agrément favorisent essentiellement le tournage et laissent la portion congrue à la postproduction. Or, cette dernière devient un élément de plus en plus essentiel de la création. C’est, par exemple, le cas du son qui joue un rôle important dans le spectacle, comme le savent les exploitants de salles de cinéma qui ont investi des sommes non négligeables dans la sonorisation de leurs salles. Ainsi, la postproduction son ne génère que cinq points à l’agrément. Or, il suffit de 80 points sur 100 pour bénéficier de 100% du soutien financier. Ce qui fait qu’une production française tournée en français peut faire réaliser toute sa postproduction en Belgique, par des techniciens belges, pour y bénéficier du tax shelter, sans grignoter le moins du monde son fonds de soutien. Résultat, les postproducteurs son français sont quasiment éradiqués et notre capital de savoir-faire dans ce domaine le sera bientôt.
Autre secteur déterminant de la postproduction, les effets spéciaux. Nous avons, en France, de grands prestataires, comme, par exemple, Mac Guff Line, Technicolor ou Mikros. Mais, pour Valérian et la cité des mille planètes, Luc Besson peut revendiquer 77 points de l’agrément, alors que sur un budget officiel de 197 M€, 122 M€ sont dépensés à l’étranger, dont 90 M€ d’effets spéciaux aux États-Unis, chez Industrial Light & Magic, la société de Georges Lucas. Car les effets spéciaux ne comptent pratiquement pas dans l’agrément. Bien plus, Luc Besson peut également bénéficier du crédit d’impôt, car il lui faut justifier de 48 sur 50 points de l’agrément. Mais des points qui ne comprennent ni la langue de tournage, ni la nationalité des comédiens. Pour préserver et développer notre outil industriel et notre savoir-faire technique, il est donc indispensable de renforcer le nombre de points de la postproduction, et tout particulièrement des effets spéciaux et du son, pour le calcul du fonds de soutien, comme de l’agrément. Mais, étant donné que, pour le calcul du fonds de soutien, il y a 100 points, à qui les prendre ? La tentation est évidemment de jouer au bonneteau et de créer des points supplémentaires en maintenant le plancher de 80 points pour obtenir 100% du soutien. Cela permettrait de maintenir, voire renforcerait, une forte délocalisation de la fabrication de nos films. Réduire le nombre de points des comédiens ou techniciens aurait le même effet. En réalité, ce dilemme conduit à une interrogation fondamentale : celle du rôle respectif du fonds de soutien et du crédit d’impôt. Ce dernier, de création récente, a une vocation purement économique : éviter la délocalisation de la fabrication de nos films. En outre, il constitue un effet d’aubaine pour ceux qui n’avaient aucune raison de délocaliser cette production. Il devrait donc apparaître dans tous les plans de financement, au même titre que le soutien financier. En revanche, le soutien financier devrait être un outil de notre politique culturelle. D’ailleurs, au départ, il s’analysait avant tout comme un transfert des films étrangers, qui payaient la taxe sur leurs recettes, mais n’en bénéficiaient pas, vers les films français. Il faut accentuer ce caractère culturel. A commencer par le tournage en français. On pourrait, par exemple, enlever le tournage en français des points de l’agrément et appliquer un abattement forfaitaire au soutien de ceux qui ne le sont pas. Les 20 points libérés pourraient être redistribués, avant tout à la postproduction, et la souplesse réduite. Par exemple, il faudrait 90 points pour avoir 100% du soutien.
Éditorial de Serge Siritzky paru dans Écran total du 3 février 2016
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